La Giulietta Spider apparaît régulièrement dans les films italiens du début des années 60 réalisés par Fellini ou Antonioni : une répétition générale avant que le Made in Italy ne parte à la conquête d’Hollywood et les USA.
Un destin hollywoodien
« C’est une voiture qui pardonne beaucoup. Et très joli en plus. » Ainsi s’exprimait à propos du Duetto un gentleman driver d’exception, le légendaire acteur Steve McQueen, lorsqu’à l’été 1966, il avait été invité à essayer le Spider italien avec d’autres amis amateurs de vitesse par le magazine Sports Illustrated. Le modèle qu’il conduisait était l’un des tous premiers Alfa Romeo Spider 1600 arrivés aux États-Unis, après avoir été dévoilé au Salon de Genève quelques mois plus tôt. Avec ces quelques mots, Steve McQueen résumait parfaitement l’esprit du Duetto et le caractère unique d’Alfa Romeo: plaisir de conduire et beauté pure.
De fait, son opinion faisait autorité. Steve McQueen était un collectionneur de supercar et un pilote habile qui avait terminé deuxième de sa catégorie lors des 12 heures de Sebring en 1970, en compagnie de Peter Revson. Un an plus tard, le jeune Dustin Hoffman conduisait un Duetto à toute vitesse accompagné par la musique de Simon & Garfunkel dans le célèbre film le Lauréat (The Graduate). Des images devenues mythiques dans l’histoire du cinéma et préfigurant toute une série d’apparitions au grand écran ou à la télévision pour le Duetto qui allait devenir culte. Lorsqu’il était champion du monde des poids lourds, Muhammad Ali avait un Duetto. En s’inspirant de sa célèbre devise «flotter comme un papillon, piquer comme une abeille», il avait fait personnaliser sa plaque d’immatriculation qui portait la mention «Ali Bee». Ainsi, le Duetto est-il devenu une star internationale.
Mais revenons sur les racines du Duetto en nous replongeant dans la technique de la Giulia et le charisme de la Giulietta Spider.
Née pour découvrir l’Amérique
L’histoire de la Giulietta Spider a également mis en vedette Hoffman. Pas l’acteur Dustin, mais l’homme d’affaires Max Edwin Hoffman. Cet ancien pilote de course, contraint par le nazisme à quitter l’Autriche pour les États-Unis, était devenu en quelques années l’importateur américain de référence pour plusieurs marques automobiles européennes.
Max était bien plus qu’un simple importateur. Il avait une connaissance approfondie du marché, donnant des conseils sur les politiques commerciales, demandant des modèles spécifiques et suggérant des variations de style. Il allait ainsi contribuer à la création de certaines des voitures de sport parmi les plus admirées de tous les temps. L’une d’elles fut la Giulietta Spider.
Ce modèle était en effet devenu une véritable obsession pour Hoffmann qui avait commencé à la réclamer à Alfa Romeo dès 1954, immédiatement après le lancement de la Giulietta Sprint. Il pensait quelle deviendrait la voiture idéale pour la côte Pacifique, convaincu que tout le monde à Hollywood en voudrait une. Il était tellement confiant sur son succès qu’il avait même dit qu’il était prêt à en acheter plusieurs centaines, avant même d’avoir vu les dessins définitifs !
La Bella Signorina
Hoffman réussit finalement à convaincre les dirigeants Francesco Quaroni et Rudolf Hruska et le projet fut lancé. Un concours de style allait être mis en place entre les deux créateurs majeurs du moment : Bertone et Pinin Farina. Bertone présenta une vision extrême, fille du concept « 2000 Sportiva » de Franco Scaglione : avant pointu, phares profilés et ailerons arrière. La proposition de Pinin Farina, dessinée par Franco Martinengo fut finalement retenue en raison de l’élégance et de l’équilibre classique de ses formes.
La Bella Signorina (la belle jeune femme), comme l’appelait Pinin Farina, disposait au départ d’un pare-brise panoramique et de vitres latérales coulissantes. Pas non plus de poignée à l’intérieur de la porte : à la place, une corde permettait d’activer l’ouverture. Par la suite, un pare-brise classique, des fenêtres latérales descendantes, des panneaux de porte équipés, un toit en toile, des poignées extérieures et de nouveaux intérieurs allaient faire leur apparition.
Sa conception purement sportive était confirmée par ses performances extrêmement brillantes. La version Spider adoptait le moteur de la Giulietta, un quatre cylindres en ligne de 1 290 cm³ qui développait 65 ch et permettait d’atteindre la vitesse de 155 km/h. Sa puissance allait ensuite augmenter sur les versions suivantes, à commencer par le Spider Veloce de 80 ch lancé en 1958.
Polyvalente, jeune, rapide. Et belle. La Giulietta Spider allait adorer apparaître au cinéma : Fellini lui donna un rôle dans « La Dolce Vita », Antonioni la choisit comme voiture d’Alain Delon dans « L’Eclipse ». Elle est ainsi devenue un symbole de réussite sociale : aimée des célébrités, désirée de tous.
Made in Italy
Vint ensuite le moment où une héritière à la Giulietta Spider a dû être conçue. Luraghi et son équipe étaient conscients du fait qu’une excellente voiture ne serait pas suffisant : Aura et charisme se devaient d’être similaires à la Giulietta Spider et sa présentation constituer un événement majeur, une cérémonie solennelle, quelque part entre investiture et couronnement.
Alfa Romeo voulait donc marquer les esprits. Ainsi, pour le lancement aux États-Unis, elle allait organiser une croisière transatlantique de luxe, invitant les célébrités les plus exclusives du monde du spectacle, du sport et de la mode. Près de 1300 VIP étaient présents à bord, dont Vittorio Gassman, Rossella Falk et la soprano Anna Moffo. Le paquebot italien Raffaello navigua de Gênes à New York, avec une escale à Cannes à l’occasion du Festival du Film. Pendant toute la croisière, trois exemplaires du nouveau Spider étaient exposés directement sur le pont du navire : un vert, un blanc et un rouge. En soulignant à plusieurs reprises le caractère italien de son produit, Alfa Romeo allait anticiper le mode de communication orientée sur le «Made in Italy» de plus d’une décennie.
L’héritage technique de Giulia
L’Alfa Romeo Spider reposait sur une base de Giulia, avec un empattement réduit à 2 250 mm. À son lancement, le Duetto était équipé du fameux moteur 4 cylindres de 1 570 cm³ en alliage léger qui développait 108 ch. Son poids à vide était inférieur à 1 000 kilos et sa vitesse maximale atteignait 185 km/h. Le Spider allait aussi par la suite reprendre la mécanique de la Giulia Sprint GT Veloce (une évolution de la Sprint GT).
« Duetto » ou « Os de seiche »?
Trouver un nom pour le modèle est une histoire en soi. Un concours avait été organisé en collaboration avec tous ses concessionnaires européens. « Duetto » remportait les suffrages mais un problème de droits se fit jour (à cause d’un biscuit au chocolat du même nom), ce qui a nécessité de lancer la voiture sous le nom d’Alfa Romeo Spider 1600.
Le nom Duetto allait néanmoins rester en arrière-plan pour prendre place dans la mémoire des Alfistes et devenir le surnom de cette génération de modèle. D’autres surnoms allaient s’y ajouter : le Spider de 1966, le premier de la série et dernier chef-d’œuvre de Battista Pinin Farina était également appelé « Os de seiche » en raison de sa forme ellipsoïdale, à l’avant et la proue arrondis, les côtés convexes et la ligne de caisse abaissée. Le deuxième série de 1969 fut surnommée « Coda Tronca » du fait se sa partie arrière désormais tronquée. Le troisième série de 1983 devint « l’Aerodinamica » avec ses appendices aérodynamiques. Enfin, en 1989, la dernière génération ‘’Série IV’’ allait faire son apparition. Cette ultime version bénéficiait d’une carrosserie épurée marquant pratiquement un retour aux origines du Spider.